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Pauvreté : la grande illusion des filières professionnelles !

Les réformes prévues pour l’enseignement professionnel ne sont pas à la hauteur des défis. 40% des collégiens sont encore dirigés vers ces filières qui n’offrent que très peu de débouchés.

Pour un président comme pour un élève, chaque rentrée est un nouveau départ. Pour faire oublier «le président des riches» et un été meurtrier, de Benalla à Hulot, Emmanuel Macron s’engage personnellement sur le front de la pauvreté. Précarité, emploi, CMU, logement peut-être, on sent l’effort d’être exhaustif. Mais il y a fort à parier que l’angle mort des plans de luttes contre la pauvreté reste la filière professionnelle de formation.

Ces filières qui regroupent le lycée professionnel, les CAP et le brevet professionnel, dans les lycées professionnels ou les centres de formation d’apprentis (CFA), scolarisent pourtant 1 million de jeunes, soit près de 40% des élèves qui continuent après le collège. C’est grâce à ces 180 000 bacheliers professionnels diplômés chaque année que l’objectif de 80% d’une classe d’âge au bac a quasiment été atteint en 2018 (79,9%). Ce sont eux qui entretiennent l’illusion d’une société dont les clivages de classe auraient disparu, résolus par la fonction émancipatrice de l’école.

Illusion. Car ces filières, ce sont aussi les cohortes d’assignés à résidence sociale et culturelle. Si le bac est le grand portail d’entrée dans l’enseignement supérieur et sa promesse d’ascension sociale, le bac professionnel est une vague porte de service débouchant trop souvent sur un escalier vétuste. A peine un tiers des bacheliers pro poursuivent leurs études dans le supérieur, et parmi eux, moins de la moitié avec succès – la moitié d’un tiers, mais qu’advient-il des autres, cette écrasante majorité ? En outre, alors que le nombre de bacheliers pro a doublé depuis 2000, le nombre de places dans les formations comme les BTS et les IUT, qui sont les formations les plus adaptées aux filières professionnelles, stagne sur la même période.

Des promesses de réussite

De même, pour ceux qui choisissent de rentrer directement dans la vie active, l’horizon est assez bouché : 60% des diplômés de CAP sont au chômage sept mois après leur diplôme et 30% le sont encore après trois ans (ces chiffres sont respectivement de 50% et de 24% pour les bacs pros). Evidemment, dans ce verre aux trois quarts vide, il y a quelques belles réussites mais globalement, c’est un échec. Notre système éducatif n’est pas en capacité de proposer une formation qui permette à tous les élèves de trouver leur place dans la société. Nous continuons à diriger 40% des collégiens dans des filières professionnelles en leur promettant qu’ils pourront ainsi décrocher un emploi ou une formation dans le supérieur tout en sachant que les voies d’accès se ferment progressivement à l’issue de leur cursus, en lycée ou en CAP.

Nous continuons à faire des promesses de réussite par le travail et le mérite, alors même que notre système éducatif n’est plus en capacité de proposer un débouché pour ces élèves sortant des filières professionnelles. La promesse républicaine de l’égalité des chances cache en fait l’arnaque désespérante d’une sélection sociale qui ne dit pas son nom. Certes, avec ses «Harvard du pro» (sic), la promesse d’une revalorisation des filières professionnelles, la loi «Avenir professionnel» votée fin juillet et la réforme de l’enseignement professionnel prévue en 2019, le gouvernement prétend être à la hauteur des défis. Mais derrière ces éléments de langage et cette com surjouée, les réformes ressemblent plus au retour du bon vieux paternalisme industriel des Schneider et autres Wendel – l’éthique religieuse en moins. Avec un droit du travail de deuxième catégorie pour les apprentis jusqu’à 29 ans et une privatisation partielle des programmes et des créations de CFA, on sent plutôt un effort pour fournir de la main-d’œuvre soldée à des employeurs rompus au chantage classique sur «le coût du travail». Détruire des métiers pour créer des emplois : cette politique d’employabilité à court terme est une défaite de la pensée et de la politique.

L’entreprise aux manettes

De plus, en déléguant aux entreprises l’organisation et les programmes des CFA, les pouvoirs publics retirent de l’Ecole sa mission première d’émancipation, de formation des citoyens et d’éducation à l’ouverture au monde. Le défi est immense : former des jeunes capables d’évoluer et d’intégrer les nouvelles technologies et les nouveaux métiers, dans une société qui évolue très vite, où le numérique, les délocalisations et les sauts technologiques questionnent l’organisation et même la nature du travail. Former des citoyens capables de comprendre leur environnement, de s’adapter aux bouleversements numériques, climatiques, sociétaux et d’avoir les outils pour évoluer dans la société. L’école n’est pas là pour réduire nos enfants à une somme de compétences utilisables par un employeur mais pour leur donner le goût et les moyens de penser et d’agir sur le monde. Les branches professionnelles peuvent être des acteurs dans les filières pros, mais pour compléter l’action publique, et non s’y substituer.

Historiquement, socialement, économiquement, ces réformes vers plus de «professionnalisation» des filières pro vont dans le mauvais sens. Peut-être permettront-elles, à très court terme, d’améliorer les indicateurs du chômage des jeunes, mais sacrifier des générations à une statistique myope et notoirement dépassée, c’est un raisonnement très «ancien monde».

L’école républicaine est le pilier du contrat social français. Malheureusement à force d’aveuglement gouvernemental et de conservatismes internes, elle est devenue une machine à garantir la reproduction sociale. Un immense tri sélectif, sans recyclage.

Cher Monsieur le Président, la pauvreté en France ne se résume pas au spectacle poignant des sans-abri ou des files aux Restos du cœur. Si vous voulez vraiment la combattre, rompez avec le caritatif. Et attaquez-vous à la fabrique des pauvres : notre école.

Rodrigo Arenas président de la FCPE de la Seine-Saint-Denis , Edouard Gaudot ancien professeur d’Histoire-Géographie , Hélène Rouch présidente de l’IUT Toulouse A