« Parcoursup », ou l’obsolescence programmée de la jeunesse.
Le gouvernement a présenté le 30 octobre un « Plan étudiants » censé réformer l’accès à l’enseignement supérieur. Fin de la sélection à l’entrée à la fac, vœux limités, disparition du système APB, rattachement des étudiants au régime général de la Sécurité sociale… « 20 mesures pour rien » selon Rodrigo Arenas, président de la FCPE de la Seine-Saint-Denis et Édouard Gaudot, ancien professeur d’Histoire-Géographie, qui réclament des États Généraux de l’Éducation pour répondre aux défis de l’école du XXIe siècle. Tribune.
Avec les dernières propositions du gouvernement pour l’Éducation supérieure, difficile de ne pas avoir le sentiment d’être parti pour un Retour vers le Futur. Car les réformes ont toutes une histoire. Endormies quelques années sur l’étagère inaccessible d’une bibliothèque ministérielle, enfouies dans les tiroirs de la bureaucratie ou coincées dans les tuyaux d’une administration où la prudence est garantie de longévité, les réformes viennent toujours de quelque part. Et là, à quelques nuances près, le « Plan Étudiants » du gouvernement évoque fortement la fameuse loi Devaquet qui fit descendre dans les rues des centaines de milliers d’étudiants… en 1986.
Bien sûr, l’ancien s’adapte aux nouveaux temps. Certes, la présentation change, mais la recette demeure. Ainsi, comme il y a 30 ans, l’objectif reste d’organiser la sélection des étudiants au plus près de l’idée qu’on se fait des besoins du marché du travail – ce que le jargon ministériel appelle à tort et à travers, « l’employabilité ». Mais, nouveauté perverse, ce n’est plus à l’université mais au lycée que le gouvernement s’imagine mettre en place ce processus.
Les mesures envisagées s’appuient essentiellement sur une redéfinition inquiétante du rôle des enseignants. De l’accompagnement individuel pour « la construction du projet d’études » à la « prise en compte du profil de chaque lycéen et de ses choix » pour l’entrée dans le supérieur, le plan Étudiants ne se contente pas de demander à des adolescents de 15 ans de savoir ce qu’ils veulent faire « quand ils seront plus grands », il suggère aussi aux enseignants de deviner l’état du marché de l’emploi et des filières d’avenir à l’horizon des dix prochaines années – dans un monde numérique en mutation permanente.
Outre cette fausse naïveté, le dispositif est absurde et dangereux. Dangereux car il confie à la subjectivité aléatoire d’un conseil de classe les clés de l’avenir professionnel des élèves. Dangereux car il néglige les différences structurelles entre les lycées et leurs territoires, dont les problématiques et les parcours déterminent trop souvent l’avenir de leurs élèves. Dangereux car il donne un argument de vente supplémentaire aux établissements privés qui consiste à faire du dossier de l’élève et du conseil de classe les nouveaux sésames pour l’accès aux filières universitaires. Dangereux surtout car il organise une confrontation violente entre les décisions des enseignants et les aspirations des parents. Dans un école qui peine déjà à remplir ses missions faute de moyens et de personnel, comment imaginer un seul instant une relation sereine entre les espoirs, sacrifices et investissement des parents pour que leurs enfants réussissent et des enseignants investis malgré eux d’un pouvoir sans appel sur l’avenir de ces mêmes adolescents ?
Absurde aussi, car on confie donc aux enseignants, alors que ce n’est pas leur métier, les fonctions des CIO [centre d’information et d’orientation, ndlr] qu’on a auparavant allégrement supprimés. Absurde enfin, car sous des couverts d’égalitarisme républicain, le dispositif annule de fait les efforts entrepris ces dernières années pour faciliter les passerelles entre voies générales et professionnelles, condamnant un peu plus les élèves des voies moins considérées à céder la place à ce qui est resté une forme d’élite lycéenne.
Retour au lycée de papa qui entérinait le déterminisme de classe. Et là, on est plus en 1986, mais bien au-delà, à l’époque où seule une minorité parvenait jusqu’au bac, dont l’obtention ouvrait le droit aux études supérieures. Certes, il n’est plus possible de revenir ouvertement sur les promesses de « 80 % d’une classe d’âge au bac » et puisque l’université n’a pas vocation à organiser la sélection, assurons-nous alors que seuls les meilleurs – et les plus dociles – puissent y accéder. Décourageons « les sauvageons » d’envahir l’université et d’y semer le trouble par leur nombre et leur comportement, pour préserver les chances des enfants des braves gens. Puisque la culture française s’oppose à la docilité par l’emprunt pour les droits de scolarité, assurons-nous de cette docilité par le bon dossier scolaire.
Le raisonnement n’est pas si absurde, finalement. Derrière cette remise en cause subtile de l’universalité de l’université, l’idée est de faire du lycée la première étape d’un parcours professionnel et de généraliser la logique de l’entreprise à l’enseignement. Le maître-mot de cette réforme sans âme c’est « l’employabilité » qui dans le jargon patronal suggère en fait une relation étroite entre le monde du travail et les orientations de l’enseignement secondaire et supérieur.
Mais cette définition est étroite et mutilante. L’employabilité n’est pas l’adéquation entre la vocation balbutiante d’un adolescent et les besoins supposés de l’entreprise à un moment donné. L’employabilité, c’est la capacité justement d’inventer sa place sur un marché du travail en tension et en réinvention permanente ; c’est la polyvalence, la force d’une formation intellectuelle et pratique initiale inclusive, structurante où la culture générale s’allie à la qualité des méthodes de travail. L’employabilité doit être justement le contraire de cette obsolescence programmée de notre jeunesse.
Plutôt que d’enfiler les réformes successives, exploitant la nostalgie décliniste d’un « c’était mieux avant » fantasmé, osons des États Généraux de l’Éducation. Il est temps de se poser les vraies questions, qui n’ont rien à voir avec le « qui » ou le « comment » de l’École. Ce n’est pas de réformes techniques ou budgétaires dont notre Éducation nationale a besoin mais de sens et de perspectives pour répondre au « pour quoi » et « pourquoi » de l’École au XXIe siècle.